Qu’est-ce qu’un bon indicateur ou KPI ?

Dans la première partie de ma vie professionnelle, j’ai eu la chance de participer à de nombreux projets dits de Business Intelligence. Concrètement il s’agit de mettre en place, d’une part les KPI (Key Performance Indicator) quantitatifs (ratios / indicateurs) qui permettent de piloter une entreprise, et d’autre part de donner des outils exploratoires pour aider les dirigeants à répondre aux questions qu’ils se posent et à prendre des décisions (et si possible de bonnes décisions 🙂 ).
Je me suis par conséquent souvent interrogé sur la pertinence des indicateurs mis en place. Je vous livre ici quelques réflexions sur un sujet que je n’arrive pas à trancher complètement.
Nous verrons :

• Les règles à suivre pour mettre en place de bons indicateurs
• Les effets pervers des indicateurs
• Les pistes pour s’en affranchir

Les règles à suivre pour mettre en place de bons indicateurs / KPI

Un indicateur est :

• un chiffre (un montant en devise, un %, un ratio…) ,
• dont on va suivre l’évolution dans le temps (passé et éventuellement projection future) sur une périodicité fixe (moi, année, trimestre, siècle…),
• et indissociable de sa forme, c’est à dire de la manière dont il est représenté.

Dans tous le manuels de bonnes pratiques, vous trouverez les quelques règles d’or à suivre pour mettre en place un bon indicateur / KPI. Il doit être :

• Atteignable
• Mesurable facilement
• Pertinent, c’est à dire en lien avec les objectifs / la stratégie de l’entreprise
• Périodique
• Précis

Facile à dire… mais pas si facile à faire ! On les reprend ?

Atteignable ?

La palme va ici aux objectifs commerciaux. Un DG communique sur les objectifs de l’année suivante et annonce un objectif de +10 % de CA. Comme par hasard, tous les objectifs des commerciaux vont ressembler peu ou prou à (A-1) * 0,1…

Mesurable facilement ?

Malheureusement, ce n’est souvent justement pas si facile tout simplement parce que les systèmes d’information et l’organisation en place ne permettent pas nécessairement de capturer la bonne information. Par exemple, si on veut mesurer la performance de mise en carton d’un prestataire logistique alors qu’on identifie uniquement des palettes dans le système de gestion central… on s’attaque à un sujet qui va nécessiter des modifications dans le SI, des changements d’organisation… Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Pertinent ?

C’est le plus difficile je crois. Je ne compte plus le nombre d’entreprises où les services suivent un même indicateur depuis des années même s’il n’a plus aucun lien avec la stratégie de l’entreprise. Le DG vous explique que la stratégie, c’est le développement en Europe et en parallèle le service client continue lui à suivre un taux de service global ou un CA par type de produit sans notion géographique… (quand il ne suit pas que la France… parce que le reste, c’est trop petit tu comprends…) Alors bien sûr le DG, lui, suit bien son chiffre par pays… produit souvent par le contrôle de gestion. Mais le service client réalise tous ses arbitrages à l’ancienne… en livrant en priorité les gros clients ou les clients qu’on connait bien… bref sans prendre en compte la stratégie.

Périodique

En général, tous les indicateurs sont bien produits de manière périodique. De ce côté là, pas de soucis. Mais dans les faits, on ne compte plus les indicateurs qui ne sont pas regardés pendant des mois parce que pas pertinents sur les périodes en question. « Le taux de retours mensuels ? on ne le regarde qu’à partir de septembre, avant ça ne veut rien dire… », « les ventes journalières ? on ne l’utilise qu’à Noël, d’ailleurs ce n’est pas génial, car on voudrait comparer avec une année ou Noël était aussi un lundi et non pas A-1″…

Précis

Par construction technique, les indicateurs produits par un système d’information sont précis car toujours produits de la même manière. Mais c’est la compréhension et l’utilisation qui en est faite qui est souvent imprécise. Le chiffre d’affaires annoncé, c’est net de retours ou sans les retours ? Sur quels mois sont comptés les retours ? sur quelle base les devises sont-elles converties en euros ? est-ce que les services sont dans le chiffre d’affaires annoncé ?… Toutes ces questions sont souvent sans réponse dans le services qui utilisent les indicateurs. Il faut souvent remonter au service informatique… quand il ne faut pas remonter à l’intégrateur de la solution voire à l’éditeur du logiciel !

Conclusion

Je ne vais pas aller plus loin dans le détail mais on perçoit bien ici toute la complexité de la mise en place de bons indicateurs / KPI ! Pourtant, j’ai souvent eu beaucoup de mal à expliquer pourquoi je n’arrivais pas avec une batterie d’indicateurs déjà prêts.
Tout le monde pense que c’est simple et rapide alors que c’est un travail qui part de la stratégie de l’entreprise, se décline dans tous les services et surtout devrait être continu car les objectifs et les enjeux changent régulièrement. C’est pour cela que les outils de BI évoluent depuis des années pour devenir de plus en plus exploratoires (je me pose des questions, la BI me répond) et axés sur la représentation des données (outils dits de data visualisation). Mais ce n’est pas mon propos !
La question qui m’intéresse, est de me positionner dans un cas parfait où tous les indicateurs sont bons et de m’interroger à nouveau sur ce qu’ils apportent.

L’effet pervers de la mise en place d’indicateurs / KPI

L’effet pervers principal d’un indicateur, c’est l’indicateur lui-même. Plusieurs chercheurs, plusieurs théories dans divers domaine de la science sont venus exprimer cette idée.

Dans les domaines des sciences sociales,

Donald T. Campbel a exprimé le principe suivant, appelé Loi de Campbell

« Plus un indicateur social quantitatif est utilisé comme aide à la décision en matière de politique sociale, plus cet indicateur est susceptible d’être manipulé et d’agir comme facteur de distorsion, faussant ainsi les processus sociaux qu’il est censé surveiller. »

Ou en 1976, au sujet des notes en classe :

« Les tests de réussite peuvent constituer de précieux indicateurs de la réussite scolaire dans des conditions d’enseignement normales axées sur la compétence générale. Mais lorsque les résultats des tests deviennent l’objectif du processus d’enseignement, ils perdent tous les deux leur valeur en tant qu’indicateurs du niveau éducatif et faussent le processus éducatif de manière indésirable.»

Le cas classique de l’élève qui vise une bonne note… et oublie que l’objectif est d’assimiler une notion.

Dans le domaine de l’économie,

Charles Goodhart va exprimer la même chose en 1975, au sujet de la politique monétaire anglaise

« lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure »

et il énoncera sa Loi de Goodhart :

«Toute régularité statistique observée a tendance à perdre toute crédibilité dès lors qu’elle est mise sous tension à des fins de contrôle»

L’effet Cobra, effet incontournable de tout indicateur / KPI

Ces lois économiques et sociales sont vues comme des manières d’exprimer ce qu’on appelle l’effet Cobra. L’effet Cobra se définit comme un phénomène indésiré qui se produit lorsqu’une tentative de résolution d’un problème a pour effet pervers une aggravation de ce même problème.

L’effet Cobra, est tiré d’une anecdote indienne selon laquelle le gouvernement britannique aurait mis en place une prime à tous ceux qui tuaient des cobras, dans le but de s’en débarrasser. Après une période de baisse, le nombre de Cobras est reparti à la hausse car… certains ont commencé à élever des cobras pour toucher la prime.

Même anecdote au Vietnam (vérifiée celle-là, mais l’effet Rat, c’est moins vendeur que l’effet Cobra) où une prime était donnée pour éliminer les rats. La prime était donnée en échange de la queue du rat… Bien vite on vit beaucoup de rats sans queue… parce qu’il était plus rentable de simplement leur couper la queue et de les laisser se reproduire que de les tuer…

Et dans le monde de l’entreprise

Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai entendu au détour d’une conversation :

• « Fais plutôt un retour qu’un avoir, ça évite de dégrader le KPI des erreurs de prix »
• « Attends encore quelques jours pour enregistrer les factures, ça évitera de gonfler les en-cours »
• « Change la hiérarchie de produit dans la commande, le commercial s’est entendu avec le client sur ce sujet »
• …

Mais alors quelles sont les pistes pour s’en affranchir ?

Tout cela est un peu déprimant du coup non ? On ne sait pas vraiment piloter sans indicateur… mais mettre en place de bons indicateurs/ KPI est difficile et dès qu’on en met en place, on commence à avoir des effets pervers.
Alors voilà les quelques remarques que je peux faire et qui me semblent importantes dès qu’on manipule un chiffre :

Est-ce que je connais bien mon KPI ?

Bons bilans à tous !